Quand je suis née, une sœur m'attendait.
Si c’était un être unique au monde, pour moi c’était d’abord une grande sœur, qui a pris son rôle très à cœur. Elle, elle savait la vie. Elle avait les réponses à mes questions du quotidien. Elle pensait sérieusement avoir une part de responsabilité dans mon bien-être. Elle jouait le rôle de parent-suppléant, d’office, ou à la demande. Il y avait même des situations où elle semblait mieux me comprendre qu'eux. Ma grande sœur était un roc, une personne extrêmement stable et rassurante, toujours là pour moi, "pour la vie". Le portrait de bien des enfants aînés.
Le revers de la médaille
Cette présence protectrice avait aussi un petit travers : elle pensait sincèrement pour beaucoup de choses mieux savoir que moi-même ce que je vivais et trouvait normal que je suive son avis. Jusqu'à un certain âge j'ai trouvé cela très confortable. A l'adolescence, j'ai réalisé qu'il y avait des choses pour lesquelles j’étais la seule à savoir pour moi, même si ses certitudes pouvaient me faire douter de moi-même (!). Que, elle ne s’en rende pas compte me semblait bizarre. Etudiante, le fait qu'elle me donne son avis en mode vérité-absolue-sur-le-mode-d’emploi-de-la-vie, alors que je ne lui demandais rien, j'ai commencé à trouver ça pénible. J'avais d'autres besoins, je l'aurais voulu différente. Mon éloignement géographique pour mes études m'a alors bien arrangé pour créer de l’espace. Je me suis rendue compte que je n'étais pas d'accord avec son comportement vis à vis de moi. Mais voilà, je n'avais pas les moyens de l'arrêter. A l’époque je ne connaissais pas les mécanismes du changement : une partie de moi avait toujours besoin de ma grande sœur, c’était à cette partie-là auquel son comportement répondait.
Quand soudainement, ma sœur a disparue!
Quand j'ai commencé à travailler, j'étais toujours dans cette impasse avec elle. Un jour, elle m'est apparue perdue, impuissante, apeurée... au point que je ne la reconnaissais pas. Elle avait... disparue! Dans son corps il y avait une femme démunie, dans une impasse, aucune voie ne lui semblant praticable. Ne pas savoir quoi faire, ne pas connaitre le chemin de la vie était quelque chose qui pouvait arriver à d'autres, pas à elle. L'impossible c'était produit. Moi je la voyais clairement la porte de sortie. Cela m’était insupportable de la sentir si mal.
Cela m'a fait un choc. C'était très bizarre, comme une situation inversée. Je suis alors devenue celle qui savait pour elle, celle qui l'aidait à comprendre et agir. Une partie de la solution était qu'elle vienne vivre chez moi le temps de trouver un nouveau logement. Notre cohabitation se passait bien. Je veillais sur elle. A un moment, je suis partie en vacances. En rentrant, j'ai réalisé, que j’avais en quelque sorte suspendue ma vie pour prendre soin d’elle. Que c’était au détriment de mes propres besoins. J'avais l'impression que cette situation provisoire – sans échéance définie – de cohabitation était plus "confortable" pour elle que pour moi. Je n’étais pas certaine qu’elle soit vraiment à fond pour trouver un appartement... Cela m'a été très difficile de le lui dire. Était-elle capable de l’entendre ? Je voulais qu'elle continue à aller de mieux en mieux chaque jour, qu'elle continue à m'aimer... et j'avais aussi l'impérieuse nécessité de retrouver ma vie. Ce qui supposait qu'elle parte de chez moi. Je lui ai proposé une échéance. Elle a super bien réagit. Elle a compris. Elle a trouvé un appartement dans le délais que je lui avais demandé.
Cet épisode de nos vies a été l'élément déclencheur pour que ma grande sœur devienne simplement ma sœur. Elle est aussi devenue plus humaine : parfois vulnérable, quelqu'un dont je peux me soucier, à qui je peux être utile aussi. Je crois que c'est grâce à cette transformation de notre relation, qu'elle est la seule personne de ma famille avec qui j'ai été capable de rester en lien, de façon continue, à toute les périodes de ma vie.
Aujourd'hui
Cela fait plus de 15 ans, nous avons cheminé depuis. Aborder certains sujets avec elle reste pour moi plus délicat qu'avec des amis proches. Mais à chaque fois que je le fais je sens notre intention mutuelle de nous accueillir telle que nous sommes, dans nos différences. L'idée aussi que quoiqu'il se passe nous sommes là l'une pour l'autre, qu'un dialogue sur l'intime de nos vies est possible. Disons qu'elle est d'abord une femme unique au monde... et qui se trouve être ma sœur!
Est-ce qu’il y a encore aujourd’hui des moments où elle me sert de « refuge » ? Oui probablement. Disons que c’est ponctuel et que ce n’est plus ce qui constitue notre lien. Est-ce qu'elle a toujours cet air d'être wonder woman et de tout maitriser dans la vie ? Rarement... et aujourd'hui je sais que cela n'est qu'apparence, qu'elle est d'abord humaine.
Ce qui a changé pour moi c'est aussi que je crois que chaque membre de ma famille est mon allié pour ma mission de vie. Cela éclaire tout d'un autre regard.
Et vous ?
Pour vous qui avez des frères ou des sœurs, comment cela se passe ? Avez-vous l’impression que votre lien est d’abord défini par des rôles issues de l’enfance ? vous sentez-vous dans des postures d’adulte à adulte ? Il y a-t-il eu des événements qui structurent votre lien ? Vous l’êtes-vous mutuellement exprimé ?